Situation des droits humains au Bélarus : octobre 2023
À la fin octobre, 1 473 prisonniers politiques étaient privés de leur liberté au Bélarus. Les défenseurs des droits humains continuent à documenter les arrestations arbitraires, les condamnations, les actes de torture et autres traitements prohibés commis à l’encontre des manifestants, des opposants au régime et des dissidents, rapporte le centre de défense des droits humains Viasna.
Prisonniers politiques. Persécutions contre les défenseurs des droits humains
Au 31 octobre, le Bélarus comptait 1 473 prisonniers politiques. Cent soixante-trois sont des femmes. Au total, depuis mai 2020, près de 2 800 personnes se sont vu reconnaître le statut de prisonnier politique, dont environ 490 sont des femmes. En octobre, la communauté de défense des droits humains a ajouté 30 personnes à la liste de détenus politiques.
Ainsi, des membres du Centre de défense des droits humains Viasna, le lauréat du prix Nobel de la paix Ales Bialiatski, le vice-président de la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) Valiantsin Stefanovitch, Ouladzimir Labkovitch, Marfa Rabkova et le bénévole Andreï Chapiuk purgent leur peine dans des colonies pénitentiaires.
La communauté d’activistes des droits humains du pays a publié un appel à la libération immédiate et sans conditions de la défenseure des droits humains Nasta Loïka. Nasta a été transférée en colonie pénitentiaire. En octobre, le KGB l’a ajoutée à la « liste des terroristes ». Des extraits de la lettre de Nasta ont été utilisées en épigraphe de l’appel. Elle y parle notamment de torture et d’actes de cruauté, inhumains et dégradants commis à son encontre à l’aide d’un pistolet paralysant.
Il n’y a toujours pas d’informations précises sur la localisation et l’état de santé de plusieurs politiques de l’opposition de premier plan en détention au secret dans des pénitenciers de tout le pays, notamment concernant Maria Kalesnikava, Mikalaï Statkevitch, Siarheï Tikhanovski et Viktar Babaryka. Leur droit aux conversations téléphoniques, aux visites, ainsi que celui de voir leurs avocats, leur sont refusés. Parallèlement, presque tous les prisonniers politiques sont considérablement limités dans leur correspondance et leurs entrevues avec leurs proches et leur avocat.
Un des instruments de pression les plus cruels et cyniques utilisés sur les prisonniers politiques est l’extension arbitraire de la durée de leur incarcération au motif fabriqué de toutes pièces de « désobéissance malveillante », qui fournit la possibilité de prolonger l’emprisonnement jusqu’à deux ans en cas d’infractions disciplinaires répétées. En octobre, la prisonnière politique Palina Charenda-Panassiouk, auparavant condamnée à trois ans de prison, a été reconnue coupable de « désobéissance malveillante à l’égard de l’administration de la colonie pénitentiaire » et condamnée à une autre année de prison. Lors de la toute première audience, elle a rapporté avoir été battue à la colonie pénitentiaire. Son visage était effectivement meurtri et ses organes auraient subi de graves blessures internes.
Un certain nombre de prisonniers politiques sont vulnérables et la privation de liberté met leur vie et leur santé en danger.
En particulier, les autorités pénitentiaires refusent toujours d’informer Ryhor Kastusiou des résultats de ses examens oncologiques. L’ancien chef du Parti du Front populaire biélorusse, âgé de 66 ans, a été condamné à 10 ans de prison. En détention, son état de santé s’est considérablement détérioré et on lui a diagnostiqué un cancer.
En octobre, Ala Zouieva, 62 ans, a été reconnue coupable d’outrage à une personnalité officielle du gouvernement et à Loukachenko et condamnée à deux ans et demi de prison, alors même qu’elle souffre d’un cancer du sang.
Vasil Berasniou, prisonnier politique condamné lors du procès de plusieurs militants syndicaux indépendants, a été hospitalisé en urgence après que sa santé se soit fortement détériorée en colonie pénitentiaire. Il souffre de douleurs à son unique rein et pourrait bientôt avoir besoin d’une greffe.
Viasna publie des points d’information mensuels sur les prisonniers politiques libérés après avoir purgé leur peine ou dans l’attente de leur procès. D’après le dernier point en date, 52 prisonniers politiques ont été libérés en septembre, dont 45 ayant purgé la totalité de leur peine. Il est important de noter que la persécution des prisonniers politiques ne s’arrête pas après leur libération. Les forces de sécurité continuent de les cibler même une fois sortis de prison. Une douzaine d’anciens prisonniers politiques sont à nouveau en détention provisoire dans le cadre de nouvelles poursuites pénales. De plus, pour la plupart des anciens prisonniers politiques, le retour à la société et à l’emploi se voit contrecarré, ce qui les contraint souvent à l’exil.
Violations de la liberté de réunion, atteintes à la liberté d’expression
La persécution politique des personnes ayant participé aux manifestations post-électorales de 2020 se poursuit. Elles sont également menacées pour avoir exprimé des opinions et effectué des dons en ligne. La liberté d’expression subit des attaques systématiques au Bélarus : la persécution est nationale et implique un éventail de méthodes d’une sévérité variable. Les opinions sont sous surveillance constante et lorsque une contestation est identifiée, elle est immédiatement punie.
En octobre, de longues peines de prison ont été ordonnées pour les trois membres du groupe Tor Band, dont les chansons sont devenues des symboles des manifestations de 2020. Alors que les musiciens se trouvaient en détention provisoire, les comptes sur les réseaux sociaux et les chansons du groupe ont été classés sur la liste noire des « contenus extrémistes » et le groupe lui-même qualifié de « formation extrémiste », ce qui a ensuite motivé un verdict de culpabilité.
Une autre forme d’expression d’une opinion est le soutien financier aux opprimés au Bélarus ou à l’armée ukrainienne dans sa guerre contre la Russie. Les dons via Facebook sont toujours systématiquement ciblés par les autorités. Les donateurs sont interrogés en masse, forcés d’avouer et de « rembourser les dommages » en faisant un don à des entreprises ou des organisations d’État ou contrôlées par celui-ci, pour des montants qui dépassent de beaucoup celui du don initial.
Violations des droits et des libertés sous prétexte de lutte contre l’extrémisme et le terrorisme
Les autorités bélarussiennes abusent de la législation antiterroriste et anti-extrémiste et continuent de procéder à des purges au sein de la société civile, de réprimer la liberté d’expression et d’éradiquer l’opposition politique. Ceci faisait partie du rapport à l’Assemblée générale des Nations Unies d’Anaïs Marin, Rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l’homme au Bélarus.
La liste des individus impliqués dans des « activités extrémistes » s’est allongée de 183 noms. En octobre, Viasna a eu connaissance d’au moins 320 cas d’arrestations pour des abonnements à des comptes de réseaux sociaux « extrémistes ». Beaucoup de ces arrestations ont été suivies par l’enregistrement forcé d’aveux en vidéo, dans lesquels les personnes arrêtées ont dû admettre leur participation aux manifestations de 2020 et à d’autres activités.
Violations des droits des journalistes, des professionnels des médias et des blogueurs
À la fin du mois d’octobre, 33 journalistes et professionnels des médias étaient détenus en prison.
Pour les autorités, la lutte contre les médias indépendants s’inscrit dans la lutte contre la liberté d’expression. Les opérations de répression visent à limiter l’accès à l’information indépendante en annulant l’enregistrement des organes de presse et en les désignant comme « extrémistes », ce qui entraîne la responsabilité pénale en cas de gestion ou de citation de ces ressources.
En octobre, la Cour a continué d’entendre les chefs d’accusation criminels contre Aliaksandr Mantsevitch, rédacteur en chef de Rehiianalnaïa Gazeta, principal média indépendant de la région. Le journal en ligne lui-même a été perdu sa licence et désigné comme « extrémiste » un mois après l’arrestation de Mantsevitch.
Persécution des avocats
En septembre, la commission de qualification du ministère de la Justice a décidé d’autoriser la révocation des licences d’exercice de plus de sept avocats. Les avocats avaient été radiés du barreau pour « avoir commis des actes qui nuisent à la réputation du titre d’avocat et de la profession juridique » et « incapacité à exercer leurs obligations professionnelles ».
Ces mesures sont arbitraires et constituent une ingérence excessive dans les activités de la profession juridique. Il est évident que les organes professionnels juridiques indépendants, ayant abandonné les fonctions de protection de l’indépendance de la profession, sont eux-mêmes devenus un instrument de répression, privant les membres critiques de la profession de leur droit d’exercer pour des raisons politiques. Le processus de transformation des avocats de défenseurs indépendants des droits et libertés des individus en un élément sans visage et soumis du système d’exécution des lois bénéficie d’une grande attention de la part de l’autorité de tutelle, à savoir le ministère de la Justice.
Torture et peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants
La torture et les traitements cruels, inhumains et dégradants s’accompagnent presque universellement de persécutions à motivation politique et constituent souvent des actes de répression politique en eux-mêmes, un objectif en soi. Le droit de ne pas être soumis à la torture est un droit absolu : nul ne peut y contrevenir en aucune circonstance. Le respect des droits humains et des libertés, selon la Constitution, est l’objectif le plus élevé de l’État.
Le recours à la torture et à d’autres traitements cruels, inhumains et dégradants se poursuit dans les centres pénitentiaires au Bélarus à l’encontre des prisonniers politiques. Le confinement en cellule d’isolement est devenu une forme spécifique de traitement cruel et inhumain qui frise, voire atteint, le niveau de la torture. Un ancien prisonnier politique a évoqué les conditions de détention et le traitement inhumain des prisonniers politiques dans les colonies pénitentiaires. Il a fait état d’une température constamment basse dans la cellule, de provocations et d’attitudes personnelles humiliantes du personnel pénitentiaire, de l’absence de literie, de conditions inhumaines à l’isolement, du manque de possibilité de prendre une douche, du manque de nourriture et de pressions psychologiques, etc.
Un exemple particulièrement de poursuites pénales à motivation politique est celui de l’affaire du Livre noir du Bélarus, initiative dont les canaux Telegram ont recueilli et publié les données personnelles de personnes présentées comme impliquées dans des violations des droits humains. On sait que certains des mis en cause ont subi et subissent encore des volées de coups et des tortures lors de leur arrestation. Au moins 32 personnes ont été condamnées à une peine d’emprisonnement, pour une moyenne de six ans de prison. Parmi elles figurent des employés de banque, d’anciens procureurs, des policiers et des enquêteurs, des fonctionnaires, un avocat, un ancien lieutenant-colonel de justice, un expert médico-légal, un musicien et un artiste.
Soutien des autorités du Bélarus à l’agression et aux criminels de guerre russes, persécution pour avoir le soutien à l’Ukraine et les positions anti-guerre
Les unités de la société militaire privée russe Wagner Group sont toujours basées au Bélarus sur l’invitation d’Alexandre Loukachenko. Wagner a reçu la jouissance du terrain et des installations d’une ancienne unité militaire dans la région de Mahiliow afin de créer une base militaire. Le déploiement de mercenaires accusés de crimes contre l’humanité ignore délibérément l’opinion de la communauté internationale et soutient les crimes de guerre commis, confirmant la validité des accusations de complicité dans l’agression russe contre l’Ukraine et introduisant un nouvel élément de menace à la sécurité en Europe. D’autre part, cela met en danger la sécurité des citoyens bélarussiens et met en péril la sécurité et la souveraineté nationales.
Dans le même temps, l’État bélarussien réprime sans pitié les membres de sa propre population pour leurs positions anti-guerre et leur soutien à la lutte du peuple et de l’armée de l’Ukraine contre l’agresseur.
Les défenseurs des droits humains ont documenté des cas de poursuites pour activités anti-guerre : au 18 octobre, 13 personnes avaient été condamnées au Bélarus pour des actions visant à empêcher la circulation de trains transportant du matériel militaire russe vers l’Ukraine. Au moins 35 personnes ont été condamnées pour avoir fourni aux médias les photos et les vidéos des troupes russes et 13 personnes pour le projet de se battre du côté ukrainien. Au moins 26 personnes ont été persécutées pour avoir publiquement condamné l’agression russe, fait des dons à des volontaires bélarussiens combattant en Ukraine et en faveur de l’armée ukrainienne. Au cours des six premières semaines de la guerre, plus de 1 500 personnes ont été arrêtées pour des manifestations anti-guerre organisées au Bélarus. Au total, au moins 1 630 Bélarussiens ont été arrêtés pour avoir exprimé une position anti-guerre. Sur ce nombre, 79 ont été condamnés dans des procès au pénal, entraînant des peines de prison allant de 1 à 23 ans.